TEXTE: Is. 22, 19-23 / Ps 137(138)1-2a. 2bc-3.6. 8bc / Rm. 11, 33-36/ Mt. 16,13-20
PRÉDICATEUR: P. Ludovic AMOUZOU, SVD
THÈME: Elevé(e) par dieu pour servir les autres
Dans son recueil de Contes et de légendes populaires portant le titre de La mare aux crocodiles, l’écrivain Ivoirien François-Joseph Amon d’ABY déclare : « Le successeur de Dieu ne doit pas être nécessairement le plus gros ou le plus fort, car, gros ou fort, il ne manquerait pas d’abuser de sa masse ou de sa force pour écraser les faibles et imposer sa dictature. Il ne doit pas être non plus le plus petit ou le plus faible, car petit ou faible, il n’aurait pas l’autorité nécessaire pour faire régner la justice. »
En ce vingt et unième dimanche du temps ordinaire de l’année A, les lectures proposées à notre méditation par l’Eglise centrent notre attention non seulement sur la source de l’autorité mais aussi sur la responsabilité qu’exige son exercice dans chaque domaine et chaque jour que Dieu nous donne. Tandis que la première lecture nous édifie sur les conséquences d’un mauvais exercice de l’autorité, la deuxième lecture nous emmène à davantage découvrir en Dieu la genèse de toute véritable autorité. Quant à l’Evangile, il nous enseigne qu’une autorité ne se décrète pas, elle s’impose par la qualité de vie de la personne en autorité, une autorité qui est synonyme de service et de responsabilité.
Bien aimés dans le Seigneur !
Extraite du livre du prophète Isaïe, la première lecture nous donne en contre-exemple Shebna. Mais, qui est ce gouverneur dont fait mention le livre d’Isaïe qui en fait ne prophétise essentiellement que pour Israël en tant que nation ? Et, pourquoi fait-il une rare exception dans l’ensemble des livres attribués à Isaïe ?
Shebna serait un non Juif qui était parvenu à se hisser dans les hautes sphères de la cour royale où il était haut dignitaire puis secrétaire du roi Ezéchias. Il aurait été impliqué dans les complots avec Sennachérib, le Roi Assyrien contre Israël. C’est un opportuniste fin et un arriviste sans vergogne. Si une des prophéties d’Isaïe le concerne particulièrement, c’est parce qu’il représente le mal au sein du peuple d’Israël. En effet, Shebna est un homme qui avait trois gros défauts que l’Eternel a en horreur : la méchanceté, la tromperie et l’arrogance. Ce dernier incarne l’homme assoiffé de pouvoir, imbu de lui-même et qui se croyait intouchable. Pour cet homme, il ne peut avoir de lever du soleil sans lui. En bref, il se prenait pour Dieu. C’est donc à cause de ses vilains défauts qu’il n’hésitait pas à exhiber au vu et au su de tout le monde que la sentence de Dieu était venue sur lui. Parce qu’il ne reconnait pas en Dieu la source de toute autorité et qu’il peut corrompre davantage son entourage avec ses vilenies, Dieu le rabaisse en lui retirant son poste pour le confier à Eliakim qui est un homme de justice, de confiance et d’humilité, tout le contraire de Shebna.
La grande leçon que nous pouvons tirer de la première lecture est que si par volonté de Dieu et/ou avec sa permission nous sommes élevés en autorité, souvenons-nous que la vie est faite de haut et de bas et que la roue tourne. Nous devrons nous considérer non pas uniquement méritoire de cette responsabilité : elle demeure avant et après tout une grâce accordée par Dieu pour concourir au mieux-être de ceux dont nous avons la charge. L’attitude fondamentale de la personne en autorité est de moins parler, de beaucoup prier et de beaucoup écouter. Le proverbe danois donne ce petit conseil à toute personne en position d’autorité: « Si l’autorité n’a pas d’oreille pour écouter, elle n’a pas de tête pour gouverner. » Mais qui faut-il écouter et comment l’écouter ?
Chers frères et chères sœurs en Christ!
Pour saint Paul, c’est d’abord et ensuite et enfin vers Dieu qu’il faut se tourner pour lui demander sa volonté, son plan, sa solution devant la situation délicate qui nécessite une solution dans laquelle la justice, la compassion et la miséricorde doivent jouer un rôle important. Il est crucial que nous reconnaissions en Dieu la Source de toute véritable autorité car Il est le Créateur de tout, le Propriétaire de tout et le Manager de tout. Cette réalité qui n’est pas seulement un acte de foi, l’Apôtre des Gentils nous le rappelle à la fin de sa lettre aux Romains quand il déclare : « TOUT EST DE LUI, ET PAR LUI, ET POUR LUI ». Aussi grand que nous sommes devenus, autant de richesses ou d’autorités ou de renommée que nous avons, nous n’en sommes que des gestionnaires. D’où l’attitude d’esprit, de corps et de comportements de grande humilité que nous devons adopter dans notre manière d’Etre, de penser, de parler et d’agir. Car quel mortel peut vraiment pénétrer Dieu et ses plans si Celui-ci ne décide lui-même de le lui révéler ? A l’humilité, nous pouvons ajouter une généreuse disponibilité d’ouverture à discerner ce que Dieu fait connaître à la personne qu’Il a choisie et la fidélité de ce dernier à transmettre intégralement le message dont elle est porteuse au(x) destinataire(s). Par ailleurs, dans l’acte de foi de l’Eglise Catholique, nous professons que ‘‘Dieu ne peut se tromper ni nous tromper.’’ Alors aussi mystérieux qu’Il demeure et aussi insondables que sont ces décisions et impénétrables que sont ses chemins, Il nous parle en même temps par son Fils, le Verbe Incarné, et par l’Esprit-Saint, le Révélateur du Fils à Simon-Pierre.
Chers Amis en Christ et en humanité !
Le passage de saint Matthieu que nous venons d’écouter comme Evangile de ce vingt et unième dimanche du temps ordinaire est vraiment une Bonne Nouvelle en ce sens qu’il nous révèle qu’en réalité l’autorité est une grâce que Dieu confère à qui Il veut comme Il veut sans grand mérite de la part de la personne faisant l’objet de choix du Seigneur. Cela atteste que Dieu est à l’origine de l’autorité de Pierre et que c’est sous la conduite du saint Esprit que cette autorité doit être exercer dans l’Eglise aussi bien pour le salut de sa personne en autorité ainsi que pour celui des personnes dont lui et ses successeurs auront la charge dans le temps et dans l’espace.
A l’opposé de Shebna qui par son mauvais caractère et le mauvais exercice de l’autorité a déplu au Seigneur, l’Evangile nous propose comme prototype d’autorité Simon Pierre, cet homme qui doit tout à la grâce divine. Nous sommes bien conscients que Pierre a ses limites et ses imperfections. Toutefois, ce sont sur les qualités fondamentales de sa nature humaine telle la disposition de se laisser guider par le saint Esprit et la spontanéité que la grâce de Dieu va construire et asseoir son autorité de premier responsable parmi les disciples et par-delà celle de la Papauté dans l’Eglise Catholique. En effet, sa Sainteté le Pape est l’Evêque de Rome, un Evêque qui parmi ses pairs mais qui jouit de la primauté en charité. Le Pape François le souligne le 9 Octobre 2017 au Vatican lorsqu’il s’adresse aux patriarches et archevêques majeurs des Eglises Catholiques orientales : « Le fondement même du ministère pétrinien est un service de présidence à la charité et dans la charité. » C’est de Dieu et de Dieu uniquement que Pierre et ses successeurs les papes tirent le sous-bassement de leur autorité mais en même temps le moule dans lequel cette autorité doit s’exercer c’est-à-dire dans l’amour et pour le service. Par conséquent, l’Eglise, à travers ses membres depuis le Pape jusqu’à la dernière personne baptisée, doit alors jouer son rôle de leadership dans la conception, la réception, l’exercice et le passage de témoin de l’autorité dans le monde où nous sommes appelés à être sel et lumière.
Au sujet de la conception de l’autorité, écoutons cette exhortation de saint Paul « Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Romain 12,2). Il est important que de plus en plus les personnes consacrées ainsi que les personnes laïques, qui ensemble constituent le Corps du Christ, comprennent que pour tout disciple du Christ, l’autorité équivaut à la responsabilité vis-à-vis de l’autre d’abord dans l’amour et ensuite dans le service. J’aime bien le diocèse de Kara où depuis 3 ans au moins l’Ordinaire des lieux nous encourage à plus utiliser les appellations ‘‘Responsable’’ ou ‘‘premier(e) Responsable’’ au lieu du titre pompeux ‘‘Président’’ ou ‘‘Présidente’’ afin que nous ne calquions plus la conception de l’autorité sur celle de notre environnement social immédiat dans lequel l’autorité du chef écrase et étouffe les sujets.
Concernant la réception de l’autorité, nous apprenons dans l’Evangile du jour que c’est Dieu qui la donne et que l’Homme la reçoit. C’est Jésus qui confère les clés du royaume des cieux à Simon-Pierre qui a été réceptif à l’Esprit-Saint qui lui fait confesser que Jésus l’homme est Jésus le Christ c’est-à-dire l’Oint. Aussi grand que soit la personne en autorité, quelle y soit parvenue par force ou par le choix des hommes, elle a besoin d’être investie pour que son autorité repose sur une certaine légitimité. Par conséquent, nous devons toujours garder l’attitude d’humble serviteur qui doit bien conduire les affaires du peuple, affaires dont ce même peuple nous a confiés la gestion, la bonne gestion.
Quant à l’exercice de l’autorité, notons qu’il doit être compris et vécu dans l’esprit de vérité, de justice, de modération, de service tout cela dans le respect de la dignité humaine et en vue de son bien-être intégral. Comme nous le recommande François-Joseph Amon d’ABY, la personne en autorité ne doit pas être ni trop fort ni trop fort ni trop petit faible car l’exercice de l’autorité exige la juste mesure entre deux extrêmes pour la stabilité, la sécurité et la prospérité du groupe concerné. Il est vital d’exercer l’autorité de telle manière à être capable de laisser le fauteuil à une autre personne lorsque le temps, la situation et les lois le demandent.
Pour ce qui est enfin de la passation de l’autorité lorsque le moment est venu, je pense à la Côte d’Ivoire. Dans son fameux titre ‘‘Le balayeur balayé’’, le célèbre chanteur ivoirien du reggae ironise le feu Général Robert GUEÏ de la côte d’Ivoire. En prenant le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, il avait déclaré qu’il était venu balayer la maison et partir aussitôt remettant le pouvoir aux civils. Mais, ayant découvert sur le sol de grosses miettes de richesse, notre ami a refusé de partir et l’a payé au prix de sa vie.
Prions ensemble :
Apprends-moi servir à accueillir l’autorité comme une grâce venant de toi pour servir mes frères et sœurs ! Aide-moi à faire preuve de compassion, de miséricorde et de modération dans l’exercice de l’autorité que tu m’as confié afin que je n’écrase personne par ma force ou que je ne favorise personne par ma faiblesse ! Cloue mon ego à ta croix afin que je passe vraiment et définitivement le témoin de l’autorité lorsque mon exercice de celle-ci touche à sa fin. Amen !